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Théâtres du corps Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Écrit par André Dubois   
05-11-2008

 

« THEATRES  DU  CORPS »

 

 

 

Présentation de la pensée de Joyce McDougall (JMD) sur les maladies psychosomatiques.

L’auteur est une psychanalyste d’origine néo-zélandaise qui exerce à Paris, et qui a consacré beaucoup de sa recherche aux patients atteints de maladies psychosomatiques (MPS)

 

En réalité, au départ elle ne s’intéressait guère aux symptômes physiques qui faisaient irruption dans le décours d’un travail psychanalytique, et puis, progressivement elle s’est rendu compte que ces phénomènes physiques constituaient en réalité un langage, au même titre que les paroles qui se disaient ( ou ne se disaient pas ).

 

 Personnellement, ce livre m’a beaucoup intéressé et m’aide quotidiennement à comprendre mes patients, et depuis plus d’un an avec Jocelyne et Muriel, nous nous sommes vus régulièrement pour lire et comprendre ce livre ensemble, et confronter nos questions et nos expériences à ce sujet. Ce furent une lecture et un partage très enrichissants , et nous nous permettons de vous  partager notre travail, en espérant qu’il suscitera chez vous des réactions et des questions.  

 

 

1)Qu’est ce qu’une maladie psychosomatique ?

 

Il faut distinguer les MPS des conversions hystériques et des troubles fonctionnels.

Dans ces 2 derniers, il n’y a pas de lésions organiques :  par exemple  la boule dans la gorge, ou la diarrhée par anxiété, etc.

Dans la MPS, par contre, des lésions organiques sont mises en évidence, comme par exemple dans l’ulcère duodénal, la recto-colite hémorragique, ou même l’asthme.

Et pourtant tout le monde s’accorde à y reconnaître une causalité, ou tout au moins une influence psychique.

Mais quelles sont ces influences, et comment opèrent-elles ?

Voici justement le sujet du livre.

 

 

2)La personnalité psychosomatique :

 

Depuis une cinquantaine d’années, les chercheurs ont tenté de mettre en évidence dans les MPS un profil psychique particulier. Au début cette approche était purement phénoménologique, voire comportementale, de l’ordre de la description, sans essai de compréhension profonde.

Ainsi par exemple, Friedman et Rosenman, dans les années 50, avaient identifié le profil-type du coronarien, (« pattern A »), caractérisé par le narcissisme et l’intolérance à tout échec personnel, qui était vécu comme un traumatisme majeur et pouvait conduire à l’infarctus.

 

Par la suite les chercheurs français ont créé des concepts plus généraux, repérables dans l’ensemble des MPS : il s’agit d’un mode particulier de fonctionnement psychique, caractérisé par l’alexithymie et la pensée opératoire. Vous allez vite comprendre.

 

Alexithymie vient du grec : alpha privatif , lexis : parole,  thumos : émotion.

Cela signifie que le sujet n’a pas de mots pour nommer ses états affectifs, ou qu’il n’arrive pas à les distinguer les uns des autres ; il ne serait pas capable, par exemple, de distinguer l’angoisse de la dépression, la peur de l’agacement, l’excitation de la fatigue, la colère de la faim, etc. ( En lisant ces lignes, je revis des moments fréquents dans notre pratique thérapeutique , lorsque nous tentons de faire dire à nos patients ce qu’ils ont ressenti dans telle circonstance )

 

Le terme de « pensée opératoire », désigne un mode de pensée et d’expression, mais aussi une forme de relation aux autres et à soi-même. C’est une pensée désaffectée, objective, pragmatique à l’extrême, « délibidinalisée », disent les psychanalystes.

 

Exemples : « Qu’avez-vous ressenti quand vous avez été licencié ? »

Réponse : « Je me suis mis directement à la recherche d’un nouvel emploi. »

« Oui, d’accord, mais qu’est-ce que vous avez éprouvé comme émotion ? »

Réponse : « Comment, ça, comme émotion ? » « Qu’avez-vous ressenti ? » Réponse : « Ben, …j’ai téléphoné à ma femme… » Etc.. A la place de l’émotion, il y a de l’action.

            Joyce McDougall demande à une patiente asthmatique de lui parler de sa mère : « Eh bien, elle est plutôt grande, assez forte, toujours très occupée…, enfin, elle n’est plus aussi active, vous savez, elle a beaucoup de rhumatismes… » « C’est bizarre, vous me parlez de votre mère de l’extérieur, comme le ferait une étrangère. » Réponse : « Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.»

 

On dirait que ces patients, non seulement n’expriment pas d’émotions, mais même sont incapables de les vivre en tant qu’affects.

La MPS viendrait prendre la place de la parole et de l’émotion chez le sujet qui n’est pas capable de la vivre.

 

On peut citer aussi les paroles de Zorn dans son roman autobiographique « Mars » , où il raconte a posteriori comment il s’est fait son cancer :

 « J’ai eu une éducation bourgeoise et  j’ai été sage toute ma vie,… naturellement j’ai aussi le « cancer, …je ne veux pas prétendre que le cancer soit une maladie qui vous apporte « beaucoup de joie, mais la joie n’est pas une  des caractéristiques principales de ma vie,… « j’ai grandi dans le meilleur des mondes  possibles. D’après cette remarque, le lecteur « intelligent comprendra tout de suite que  l’affaire devait forcément mal tourner.»

 Ici aussi on retrouve cette désaffectation qui le fait parler de lui-même et de sa maladie en termes objectifs, quasi scientifiques.

 

On parle ici d’une « pseudo-normalité », et Winnicott a inventé la notion de «  faux self  », c’est à dire d’une fausse personnalité en apparence hypernormale, destinée à protéger l’autre, la vraie, qui risquerait autrement de ne pas survivre.

 

 

3) Personnalité psychosomatique et structure psychotique :

 

Après avoir décrit le type de fonctionnement, il faut comprendre comment et pourquoi il s’est mis en place : on a souvent parlé de la personnalité PS comme étant « borderline », intermédiaire entre névrose et psychose.

Rappelons que la problématique inconsciente des névrosés, c-à-d de la majorité des gens dits « normaux », est « oedipienne », donc fondée sur la question de la jouissance interdite et de la culpabilité qui en découle.

 

Tandis que la problématique psychotique est dite archaïque, liée à la survie du sujet, fondée sur la peur de perdre son identité subjective. Elle est liée souvent à des sensations corporelles de morcellement, de perte de cohésion, etc.

 

Le sujet PS est dans la même problématique archaïque que le psychotique : on retrouve la même confusion inconsciente concernant la représentation du corps comme contenant, les mêmes craintes quant à ses limites et à leur étanchéité, et à partir de fantasmes de fusion corporelle, une terreur identique de perdre le droit à l’identité séparée, comme celui d’avoir des pensées et des émotions personnelles.

 

Cependant, à la différence du psychotique, le patient PS ne délire pas : au contraire, nous avons vu qu’ il se caractérise souvent par une hypernormalité , mais ici c’est le corps qui délire.

JMD écrit : « La pensée du psychotique peut être conçue comme une inflation délirante de l’usage de la parole dans le but de remplir des espaces de vide terrifiant, tandis que les processus de pensée des somatisants cherchent à vider la parole de sa signification affective »

 

 

4)Maladie psychosomatique et hystérie ; notion de facteur déclenchant :

 

            Les phénomènes de conversion hystérique ne sont pas des phénomènes PS au sens strict : dans l’hystérie, il n’y a pas de lésions organiques, et de plus, le symptôme est symbolique, c’est à dire porteur d’une signification, faisant appel à un certain langage du corps, passant par les mots : pensons aux expressions courantes telles que « J’en ai plein le dos, ça me coupe bras et jambes, les peines de cœur, se mettre martel en tête, je ne peux pas digérer cela, etc. » Elles nous montrent bien que l’inconscient collectif et le bon sens populaire connaissent les expressions somatiques des émotions.

Dans ces cas, on peut souvent établir une relation assez claire entre le symptôme et sa cause déclenchante.

 

 Par contre dans les MPS, le facteur déclenchant est difficile à mettre en évidence : c’est  plutôt un climat général, une manière de percevoir le réel qu’il faudra comprendre.

 

Certains psychanalystes vont même jusqu’à dire que le symptôme PS n’a aucun sens, puisque c’est un délire du corps : il est « hors sens »

Pour Joyce McDougall, il y a un sens, mais il est d’ordre présymbolique, il court-circuite la représentation de mot.

Dans ce cas, le « facteur déclenchant » est non spécifique, c’est simplement un événement qui dépasse les capacités de tolérance habituelles du patient : ainsi certains patients réagiront à toute circonstance mobilisatrices d’émotions fortes par des phénomènes PS.

 

JMD utilise alors le terme d’hystérie archaïque pour désigner les phénomènes PS, et elle explique que, à la différence de l’hystérie névrotique qui se construit à partir de liens verbaux, l’hystérie archaÏque se construit à partir de liens somatopsychiques préverbaux.

De plus, elle cherche à préserver non pas le sexe ou la sexualité du sujet (comme dans l’hystérie névrotique),  mais son corps tout entier, sa vie. C’est ce qui la rapproche du fonctionnement psychotique, et c’est pour cette raison  qu’elle est nommée « archaïque ».

 

 

5)Refoulement et forclusion :

 

            La psychanalyse de patients somatisants montre que leur « moi » n’utilise pas les mêmes mécanismes de défense que chez les névrosés, ce qui les rapproche à nouveau des psychotiques.

Les symptômes névrotiques sont « construits » essentiellement sur la base du refoulement :  ce sont les émotions refoulées dans l’inconscient qui réapparaissent sous formes de rêves, d’actes manqués, de lapsus, d’angoisses, de phobies, de conversions hystériques, etc.

C’est  par eux que Freud a découvert l’existence de l’inconscient.

 

Mais les patients somatisants, eux, ne perçoivent pas leurs émois dans les situations angoissantes : les idées associées à tout affect conflictuel important ne sont pas refoulées comme dans les névroses (on n’en trouve trace nulle part), mais elles sont immédiatement effacées du champ de conscience, par un mécanisme appelé que Freud avait mis en évidence au départ chez les psychotiques, et qu’il avait d’abord nommé « verwerfung », c-à-d rejet. Lacan lui a donné plus tard le nom de « forclusion ».

Ces patients fonctionnent comme de petits enfants qui, ne pouvant utiliser les mots comme véhicule de leur pensée, réagissent à une émotion douloureuse par un symptôme somatique.

 

C’est ce mode de fonctionnement qui retentit sur le discours associatif et lui donne une tonalité désaffectée et aliénante,  comme si le patient parlait de quelqu’un d’autre.

Rappelons ici l’exemple de l’ auteur de « Mars » qui raconte l’histoire de son cancer en termes froids, neutres, et objectifs

 

Ainsi donc JMD nous explique que les affects qui ne peuvent pas avoir accès au conscient peuvent subir 2 types de transformations :

Soit le refoulement, qui conduit à la névrose, par exemple hystérique ou obsessionnelle ; dans ce cas le retour du refoulé s’opère dans le psychisme ou dans le corps sous forme de symptôme mental ou fonctionnel , il y a donc une sorte de compensation.

 

Soit la forclusion , sans aucune compensation névrotique, et dans ce cas l’affect qui a été rejeté hors de la psyché peut revenir sous forme d’idée délirante ( comme dans la psychose ), ou sous forme de phénomène PS.

Et donc ici, une fois de plus, nous retrouvons une certaine parenté entre psychose et MPS .

  

 

 

6)Elargissement du concept de maladie psychosomatique :

 

JMD considère comme liée aux phénomènes PS toute atteinte à la santé où les facteurs psychologiques jouent un rôle : elle y inclut par exemple la prédisposition aux accidents corporels, les toxicomanies et addictions, et les brèches du bouclier immunologique.

Car elle retrouve dans toutes ces situations les mêmes caractéristiques que nous avons vues dans les MPS proprement dites, notamment ce fonctionnement « archaïque », préverbal, du psychisme, et l’évacuation immédiate des affects par le mécanisme de la forclusion.

Cela me semble intéressant pour nous, entre autres dans les cas d’infections à répétition chez les enfants ; nous verrons d’ailleurs plus loin que l’enfant n’a pas toujours beaucoup d’autres moyens à sa disposition pour exprimer un désarroi, que de faire une maladie.

 

 

 

7)Comment devient-on psychosomatique ? La sécurité de base.

 

On pourrait plutôt demander comment on le reste, car il faut bien admettre que le nourrisson qui vit une situation insoluble de frustration ou d’insécurité, n’a que peu de moyens pour l’exprimer : insomnie, troubles alimentaires, reflux, vomissements, troubles du transit, éruptions cutanées, puis finalement troubles respiratoires. Le nourrisson est donc un

« psychosomatique ».

Il ne peut réagir à une émotion douloureuse que par un symptôme somatique, car il ne possède pas encore l’appareil psychique nécessaire, non seulement pour exprimer une émotion, mais même pour la percevoir. On parle de la faculté d’élaborer une émotion.

 

Pourquoi certains individus sont-ils incapables de vivre et d’exprimer des émotions ?

Il semble que l’origine de cet état se trouve dans la relation mère-enfant.

Pour comprendre cela il faut se reporter à  la situation du nourrisson, totalement dépendant de sa mère pour sa survie et son bien-être.

Ce bébé est exposé à des stimuli pénibles, venant aussi bien de son intérieur ( par exemple la faim et les tiraillements d’estomac) que de l’extérieur (le froid, le fait d’être mouillé, les bruits,…), mais tous ces stimuli sont vécus  « sur le même pied », comme venant de l’extérieur , car le bébé n’a pas encore la perception claire de son corps avec un dedans et un dehors.

Le rôle de la mère est ici celui de « pare-excitation », c’est-à-dire de protéger son enfant contre les stimulations excessives, en recréant l’illusion de fusion initiale, par le moyen du contact physique, de la voix, etc.

 

 

C’est cette sécurité de base qui permet au nourrisson de s’endormir et de faire fonctionner son système végétatif, entre autres la digestion ; mais si la sécurité de base fait défaut ou est défaillante, on peut avoir déjà chez le bébé des MPS telles que l’insomnie, les vomissements, la diarrhée, l’eczéma, etc.

Peu à peu la SB devient une sensation interne par un processus appelé selon les auteurs internalisation, introjection, incorporation, identification, c-à-d que l’enfant absorbe à l’intérieur de lui-même l’image de la bonne mère sécurisante.

 

La constitution de la sécurité de base à l’intérieur de soi est fondamentale pour la naissance de l’être humain en tant que sujet ; elle lui permet l’accès à la vie symbolique, c-à-d la pensée, le rêve, le fantasme, la rêverie, l’imagination,…

La mère qui est à l’écoute de son nourrisson et interprète ses signaux donne du sens à ses manifestations corporelles : elle permet ainsi au bébé de se constituer comme sujet. ( On pourra dire qu’elle prête de soi, pour introduire une notion thérapeutique sur laquelle on reviendra plus tard.)

 

C’est cela qui doit se passer normalement dans la première année de la vie, dans le cas de la « mère suffisamment bonne »,c-à-d si la mère est à l’écoute de son nourrisson et est capable d’interpréter ses communications précoces.

Mais il peut arriver que la mère, en proie à une détresse et à une angoisse intérieure, ne soit pas capable d’observer, et d’interpréter les sourires, les gestes et les plaintes de son  petit enfant, et qu’elle lui fasse au contraire violence par l’imposition de ses souhaits et de ses besoins à elle, ce qui crée chez le nourrisson un sentiment constant de frustration et de rage impuissante.

 

On peut à cet égard envisager 2 types de situations :

Le cas où la mère vit son enfant comme un petit corps étranger, une sorte de parasite, et refuse de se prêter à l’illusion de fusion.

Ou bien le cas contraire ou la mère n’est pas capable d’abandonner la relation fusionnelle.

Dans ces 2 cas le petit enfant court le risque d’établir difficilement le sentiment vitalement nécessaire d’une identité séparée et il ne peut pas se constituer une sécurité de base suffisante pour lui permettre de vivre ses émotions sans se sentir débordé par le risque de démantèlement et de destruction.

JMD nous dit que beaucoup de ses patients PS font de leur mère un portrait typique qui va dans ce sens ; un autre phénomène, qui sans doute est lié aux défenses primitives contre l’émotivité, est le souvenir d’une précocité notable dans l’acquisition de l’autonomie de la marche, de l’utilisation du langage, de la propreté.

 

Chez un bébé ( puis un enfant, puis un adulte) qui n’a pas introjecté suffisamment l’image de la bonne mère, la SB est fragile et n’est pas toujours à même de contenir les émotions diverses.( Contenir ici dans le sens de contenant et non de réprimer.)
Les émotions trop fortes telles que la colère, l’angoisse, la tristesse, sont vécues comme dangereuses et potentiellement destructrices.
L’inconscient adopte alors la solution radicale de la forclusion, qui évacue les émotions dangereuses, en plaçant l’individu dans une position de risque psychosomatique.

On pourrait dire, en employant une autre image, qu’il manque à cet individu un « matelas psychique » qui amortit les effets destructeurs des émotions négatives.

Le corps est ici en première ligne pour exprimer ce que le sujet non seulement ne peut pas exprimer autrement, mais même ne peut pas éprouver autrement.

La porte est ouverte aux maladies psychosomatiques.

 

         André Dubois

 

 
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